MORPHÈME

MORPHÈME
MORPHÈME

MORPHÈME

Le terme morphème a au moins trois sens différents en linguistique.

On l’a d’abord employé pour désigner l’unité repérable dans un complexe morphologique où se découpaient un élément porteur de sens (appelé lexème; parfois, mais plus rarement, sémantème) et un autre, grammatical, signalant l’appartenance à l’une des parties du discours (nom, adjectif, verbe, etc.). Ainsi, les termes chanteur et chanter présenteront dans cette terminologie un même lexème, chant- , et deux morphèmes différents, -eur et -er .

Dans le cadre de l’analyse en constituants immédiats, variante du distributionnalisme, on appelle morphème la plus petite unité douée de sens (la plus petite unité de première articulation), qui s’oppose au phonème, petite unité segmentale, dénuée de sens dans la chaîne du discours. L’analyse d’un énoncé en morphèmes pose un certain nombre de problèmes de segmentation. Dans un «mot» comme inaliénable , faut-il considérer qu’il y a un, deux ou trois morphèmes, c’est-à-dire faut-il retenir comme morphèmes in- et -able ? La réflexion sur ce point a mené à distinguer entre ce qu’on appelle des morphèmes simples ou morphèmes uniques (mais ce dernier terme désigne aussi des morphèmes d’occurrence unique, comme fur dans au fur et à mesure ) comme in- , des morphèmes composés (inaliénable ), mais aussi des morphèmes suprasegmentaux, comme l’intonation, qui s’opposent à l’ensemble des autres morphèmes, dits segmentaux. Par exemple, dans la phrase il pleut? l’interrogation est marquée par un morphème suprasegmental qu’aucune segmentation ne peut faire apparaître sous forme d’une tranche phonique présente dans l’énoncé.

Pour A. Martinet, le morphème est un élément grammatical (affixe, désinence, etc.) s’opposant au lexème (l’unité significative minimale qui indique le sens). Morphèmes et lexèmes sont tous des monèmes, ce terme générique désignant l’ensemble des unités de première articulation. Toutefois, cette conception butait sur un obstacle grave et ne convenait vraiment qu’à l’analyse de certaines langues dans lesquelles l’unité était aisément repérable, soit parce que le système de composition en était l’isolation, ou juxtaposition de formes inaltérées, soit parce que nous pouvions projeter notre savoir sur les formes identifiées (cas des langues bien connues). Mais pouvait-on soigneusement décrire un système linguistique peu ou pas connu au moyen de ces catégories, étant donné l’extrême variété des systèmes verbaux, pour ne prendre qu’un exemple? L’ergatif, dans certaines langues, est un mode, le perfectif; il est un aspect dans d’autres; cela sans compter les langues de type sémitique où la conjugaison obéit à des alternances vocaliques laissant intact le schème consonantique. Et qu’advenait-il des langues flexionnelles, dans lesquelles il est rigoureusement impossible de déterminer, à cause de l’amalgame qu’elles pratiquent, ce qui revient à telle catégorie? (Le suffixe latin -arum dans rosarum a les traits: pluriel, féminin, génitif, sans qu’on puisse associer l’un quelconque d’entre eux à un élément de réalisation phonétique segmentable.)

On en vint à donner de morphème une définition abstraite à la façon d’une quatrième proportionnelle, cela afin de respecter l’idée de système. En somme:

Lisez qu’en anglais il y a le même rapport (qu’on peut déterminer en fonction des contextes de récit, par exemple) entre un passé dit régulier et un autre à leurs présents respectifs. Que seul le premier des deux rapports présente un segment phonétique isolable est de peu d’importance pour cette théorie, où le phénomène prend le nom spécifique de morphe : le processus générique reçoit, lui, la dénomination de morphème, ce qui simplifie considérablement la description de cette langue:

La flèche symbolise une règle de réécriture. Quant à l’accolade, elle désigne l’archimorphème: on savait déjà, en effet, que beaucoup d’éléments linguistiques sont déterminés phonétiquement par le contexte (il en va de même pour les unités de deuxième articulation). L’archimorphème est alors la forme abstraite qui recevra telle ou telle réalisation particulière, appelée allomorphe, selon l’environnement linguistique où elle est destinée à apparaître. Une partie plus fine de la grammaire, la phonologie générative, a pour tâche d’associer à la composition des morphèmes délimités de la sorte des lois de réalisation phonétique, soit la manière dont l’ensemble des signaux sonores concrétise, en se «concaténant», l’information sous-jacente.

Dans cette théorie, le «rapport entre le son et le sens est un rapport extrêmement indirect, médiatisé par un ensemble de structures abstraites» (N. Ruwet, Introduction à la grammaire générative , 1967). Si les morphèmes sont les éléments livrés par la structure terminale d’une analyse de phrase et comprennent des éléments sur lesquels ne se sont pas encore appliquées les diverses transformations, on les opposera aux formants, qui représentent des éléments sur lesquels s’appliquent les règles phonologiques. Ainsi négation serait un morphème et ne ...pas un formant discontinu. On aura reconnu dans ce souci d’aboutir par l’analyse à des universaux de langage une des préoccupations fondamentales de la grammaire transformationnelle.

morphème [ mɔrfɛm ] n. m.
• 1905; de morph(o)- et phonème
Ling.
1Vx Élément grammatical d'un mot.
2(de l'angl.) La plus petite unité significative. monème (cf. Unité de première articulation). Morphème libre. mot. Morphème lié. Mot formé de plusieurs morphèmes ( morphologie) . Morphème lexical ( lexème) , grammatical. Morphème discontinu.
Spécialt Chez A. Martinet, Monème grammatical. Les monèmes se répartissent en morphèmes et en lexèmes.

morphème nom masculin (grec morphê, forme) Unité minimale de signification que l'on peut obtenir lors de la segmentation d'un énoncé sans atteindre le niveau phonologique. Synonyme rare de monème. ● morphème (synonymes) nom masculin (grec morphê, forme) Unité minimale de signification que l'on peut obtenir lors de...
Synonymes :

morphème
n. m. LING
d1./d Unité grammaticale de première articulation qui se combine aux lexèmes suivant les règles de la morphologie.
d2./d Morphème grammatical: morphème (sens 1). Morphème lexical: lexème.

⇒MORPHÈME, subst. masc.
A.LING. STRUCT.
1. Signe minimal de nature grammaticale.
a) Vieilli. [P. oppos. à sémantème] Partie de mot ou de syntagme qui indique la fonction et l'appartenance à une classe paradigmatique de ce mot ou de ce syntagme. Morphèmes liés (affixes, désinences); morphèmes non liés (articles, prépositions, conjonctions) (d'apr. Lang. 1973). Ces unités constitutives (...) qui interviennent normalement dans la structure de la langue, à savoir les phonèmes, les morphèmes et les sémantèmes (LÉVY-STRAUSS, Anthropol. struct., 1958, p.232).
b) [Dans la terminologie de Martinet; p. oppos. à lexème] Monème grammatical. Parmi les lexèmes, les langues peuvent distinguer, selon les combinaisons des morphèmes qui s'y attachent, une série dite nominale et une série dite verbale (POTTIER ds Langage, 1968, p.306). Ainsi travaillons se compose d'un lexème (travail-) et d'un morphème (-ons) (D.D.L. 1976):
1. ... à partir d'un nombre très réduit de lexèmes et de morphèmes, on peut construire un univers de formes, aussi variées et complexes que l'on veut, mais sous lequel il est toujours loisible de retrouver la règle qui a présidé à sa formation.
COYAUD, Introd. ét. lang. docum., 1966, p.84.
c) [P. oppos. à morphe] V. ce mot ex. de Ling. 1972.
2. [P. oppos. à phonème] Unité minimale de signification. Morphème lexical, grammatical; classe de morphèmes. Un morphème peut être défini comme une séquence de phonèmes, un mot une séquence de morphèmes, une phrase une séquence de mots, et un discours une séquence de phrases (Lang. 1973, p.502):
2. Les signes linguistiques assument des fonctions qui consistent (...) dans l'expression de notions (idées de choses ou d'êtres ou de procès et catégories grammaticales) au moyen de morphèmes (unités lexicales ou sémantiques et marques grammaticales ou morphèmes au sens restreint).
PERROT, Ling., 1953, p.113.
B.GRAMM. GÉNÉRATIVE. [P. oppos. à formant (v. ce mot III B 3)] ,,Élément de la structure profonde`` (Ling. 1972).
Prononc.:[]. Étymol. et Hist. I. 1921 «élément de formation apportant l'aspect grammatical à un élément de signification» (VENDRYES, Langage, p.86). II. 1952 «plus petite unité de signification d'un énoncé» (CANTINEAU ds Cahiers Ferdinand de Saussure, n°10, p.12). Formé sur le gr. «forme» d'apr. phonème. Au sens II, empr. à l'anglo-amér. morpheme, terme att. en angl. comme terme de ling. dep. 1896 et dont l'usage s'est répandu à la suite de son emploi par le linguiste amér. L. Bloomfield (Language, 1926, II, 155 ds NED Suppl.2).
DÉR. Morphématique, adj. Qui est de la nature du morphème; qui est composé de morphèmes. À la différence du chinois, le sumérien était constitué non seulement par des signes lexicaux, mais aussi par des signes morphématiques indicateurs de fonctions ou de relations grammaticales (ALARCOS LLORACH ds Langage, 1968, p.532). Quant à la théorie générative, où le composant phonologique a pour rôle essentiel de transformer les suites morphématiques engendrées par la syntaxe en une représentation de la réalisation phonique de la phrase, elle met en cause la fonction distinctive elle-même (Lang. 1973, p.389). []. 1re attest. 1968 (ALARCOS LLORACH, loc. cit.); de morphème selon un type , - sur le modèle de , - (v. phonème), suff. -ique.
BBG. — BLONDIN (R.). Notion et grammaticalisation: lexèmes et morphèmes. In: [Mél. Gamillscheg (E.)]. München, 1968, pp.73-79. — DELAVEAU (A.), KERLEROUX (F.). Terminol. ling. Lang. fr. 1970, n°6, pp.107-108. — HARRIS (Z. S.). Du morphème à l'expr. Langages. Paris. 1968, n°9, pp.23-50. - ZAWADOWSKI (L.). La Signification du morphème. B. de la Soc. polon. de ling. 1957, t.16, pp.3-35.

morphème [mɔʀfɛm] n. m.
ÉTYM. 1921; de morph-, et suff. de phonème. → -ème.
Linguistique.
1 Vx. Élément de formation conférant un aspect grammatical déterminé à un élément de signification (sémantème). || « Les morphèmes expriment les relations que l'esprit établit entre les sémantèmes » (Vendryes, le Langage, p. 86). || Morphème constitué par un mot isolé (To, caractérisant un verbe, en anglais), par un élément ajouté (affixe, désinence : l's du pluriel, le suffixe -ment, caractérisant les adverbes, en français), par un changement (ex. : l'alternance vocalique des pluriels irréguliers anglais : man, men…), ou par l'ordre des mots (cf. Il vient, et vient-il ?).
2 (Angl. morphem, défini par les linguistes amér., notamment Bloomfield). Élément minimum porteur de sens, dans un énoncé. || Le morphème est constitué de phonèmes et est le constituant d'un mot. || Morphème lexical ( Lexème), grammatical. || Variante contextuelle d'un morphème. Allomorphe.
3 Spécialt (chez A. Martinet). Monème grammatical.
DÉR. Morphématique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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